L’Assommoir, Emile Zola

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Gervaise Macquart est la fille d’Antoine Macquart et de Joséphine Gavaudan. Elle porte la marque de son hérédité, d’un père alcoolique et d’une mère travailleuse mais névrosée. Son corps lui-même porte les stigmates de cet atavisme puisque, conçue un soir d’ivresse et de violence, Gervaise boîte. Malgré une enfance difficile, elle apparaît comme une femme volontaire et travailleuse. On la rencontre au début du roman au côté de son amant Auguste Lantier, vivant dans le quartier de la Goutte-dOr à Paris avec leurs deux fils, Étienne et Claude. Lantier est froid, paresseux et infidèle. C’est suite à sa dernière tromperie, avec Adèle, qu’une bagarre éclate au lavoir entre Virginie, la sœur de cette dernière, et Gervaise. Alors que Lantier prend la fuite avec sa nouvelle maîtresse, Gervaise se retrouve seule avec ses deux enfants. Après avoir repoussé les avances de Coupeau, un ouvrier zingueur, la jeune blanchisseuse finit par céder. Suite à leur mariage et à la naissance de leur fille Nana, le jeune couple se projette dans l’avenir. Grâce à leurs économies, Gervaise rêve d’acheter une boutique pour s’installer à son compte. La chute de Coupeau viendra mettre en péril ses projets.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce roman tant il est riche de symboles et de rebondissements. L’Assommoir est le récit de la chute de Gervaise. Personnage emblématique des Rougon-Macquart, Gervaise se présente au début du roman comme une femme de volonté, raisonnable et économe. Pourtant, on sent planer sur elle une menace qu’elle-même ne semble pas ignorer. La jeune femme éprouve une fascination pour l’alambic du père Colombe qui tient l’Assommoir, une fascination mêlée de terreur. Gervaise et Coupeau se retrouvent au début de leur relation sur leur crainte et leur rejet de l’alcool. Gervaise a connu l’alcoolisme de son père qui battait sa mère. Le père de Coupeau, quant à lui, est tombé d’un toit alors qu’il était ivre. Lorsque l’alcool pénètre finalement dans leur vie, la chute s’accélère… Gervaise refuse au début les avances de Coupeau car elle craint de revivre un nouveau désastre conjugal. Sa volonté cédant, elle décide finalement d’épouser l’ouvrier. Cette menace se devine aussi à travers les personnages du Père Bru, image d’un futur misérable, et du croque-mort Bazouge, image de la mort qui rôde près de Gervaise.

Zola décrit avec lyrisme les débuts prometteurs du jeune couple, leur amour à l’opposé de la relation Gervaise/Lantier, leur joie d’offrir à leur proche un beau mariage, leur projet de tenir une boutique. La langue est belle, les relations sont saines, le champ lexical de la propreté domine dans cet univers puisque Gervaise, grâce à l’argent emprunté au Goujet, a pu acheter sa boutique et recruter toute une équipe pour la seconder. Elle gère sa blanchisserie avec talent, son savoir-faire est reconnu. Puis survient un des événements perturbateurs du roman, celui du repas d’anniversaire de Gervaise et du retour de Lantier. À partir de là, la saleté imprègne les mots de l’auteur, ses décors, ses personnages. Gervaise semble perdre toute volonté une fois ses rêves atteints. Ne se méfiant plus de la menace qui pèse sur elle, elle ouvre la porte à cette saleté qui s’engouffre dans sa boutique, dans son couple, dans sa morale. Voulant profiter de bons moments et montrer au grand jour leur réussite, le couple se perd dans le faste de repas gargantuesques et très alcoolisés. Coupeau, déjà, a bien changé sur ce point et sombre rapidement dans l’alcoolisme. Les dettes augmentent, le travail perd en qualité. Lantier, bien décidé à profiter du désastre et à manger la boutique jusqu’au dernier reste, s’impose dans la vie des Coupeau, jusque dans leur intimité. Tout ça sous les yeux de Nana, décrite comme une enfant vicieuse, dévegondée et fugueuse.

Si Gervaise est le personnage central de ce roman, c’est l’alcool qui en est le fil rouge. Métamorphosé par son accident, Coupeau commence à boire et ne travaille plus ou presque. L’alcool a fini par se faire sa place dans la vie du couple. Une place qui ne cessera de croître. Zola le présente sous ses différents aspects et décrit avec un grand réalisme ses effets. L’alcool permet à Coupeau d’oublier les conséquences de sa chute ; l’alcool est festif, au mariage des Coupeau et à l’anniversaire de Gervaise ; l’alcool engendre la violence, l’exemple le plus marquant est celui du père Bijart qui tue sa femme et bat sa fille ; l’alcool entraîne les autres vices.

Il faudrait aussi parler des personnages secondaires qui gravitent autour de Gervaise : Lantier, manipulateur et parasite dangereux ; les Lorilleux, radins et mauvais ; Nana, que l’on découvre ici et qui deviendra le personnage central du roman éponyme, neuvième opus de la série ; Goujet, qui ne sera jamais éclaboussé par la saleté qui règne dans le roman ou encore la petite Lalie, triste héroïne des scènes les plus bouleversantes du livre.

Jusqu’à présent et après trois lectures, je considère L’Asssommoir comme le roman le plus percutant de Zola. L’auteur décrivait en ces mots son projet :

« J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement la honte et la mort. C’est la morale en action, simplement. »

À tout point de vue, c’est une réussite. On pénètre grâce à une langue vivante et réaliste dans le milieu ouvrier. Zola nous invite à déambuler dans les rues ivres et sales alors qu’un Paris nouveau se dessine suite à de grands travaux d’aménagement.

La déchéance de Gervaise est cruelle puisqu’on la voit venir, qu’on sent cette menace oppressante qui ne fera qu’une bouchée de ses rêves et ses bonnes volontés. Chaque lecture de L’Assommoir renouvelle l’émotion initiale et offre un éclairage nouveau sur le projet de l’auteur.

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