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Les enfants sont rois, Delphine de Vigan, 2021 (Gallimard)

« À travers l’histoire de deux femmes aux destins contraires, Les enfants sont rois explore les dérives d’une époque où l’on ne vit que pour être vu. Des années Loft aux années 2030, marquées par le sacre des réseaux sociaux, Delphine de Vigan offre une plongée glaçante dans un monde où tout s’expose et se vend, jusqu’au bonheur familial.« 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce roman révèle sa qualité au fil des pages. Au début, Delphine de Vigan donne l’impression de faire une synthèse, de mettre en scène de façon très méthodique le résultat de ses recherches sur les réseaux sociaux, les chaînes familles, ou encore l’univers YouTube. Si l’on est un tant soit peu familier de ces choses-là, on n’apprend pas grand-chose et on ne comprend pas bien où elle veut en venir. L’autrice présente tout d’abord ses deux héroïnes que tout semble opposer, si ce n’est le contexte temporel, culturel et télévisuel dans lequel elles ont grandi. Ce contexte est clairement défini à grand renfort de référence à des programmes phares de télévision. Ces deux femmes ont grandi pendant l’avènement de la téléréalité. Mélanie en est fan et rêve de cette célébrité rapide tandis que Clara, dont les parents ont notamment milité contre l’arrivée du Loft en France, regarde en cachette la finale de ce programme.

Mélanie touche du doigt son rêve, mais pour un temps très court. Finalement, sa célébrité elle la devra à sa fille. Sur YouTube, dans les pays anglo-saxons les chaînes famille sont à la mode. En France, seule une chaîne s’est lancée sur le créneau. Suite au succès d’une vidéo de sa fille postée sur YouTube, Mélanie décide de se lancer. Elle publie des vidéos de ses deux enfants sur la chaîne Happy Récré : challenge, prank, unboxing, mais aussi sur les stories de son propre compte Instagram.

« Il fallait distribuer de l’amour à ceux qui les regardaient. Il fallait leur adresser des tas de poutous-bisous et des bisous d’étoiles, et leur donner le sentiment que tout était partagé. Partager était un investissement. Partager les secrets, les marques, les anecdotes, telle était la recette du succès. Depuis que Mélanie s’était lancée sur les réseaux, les compteurs n’avaient jamais cessé de grimper »

Rapidement, le nœud de l’intrigue est posé : Kimmy Diore, la fille de Mélanie, a disparu. A-t-elle été enlevée ? Quelle piste suivre : un fan déséquilibré, un pédophile, un concurrent ? À partir de là, il est impossible de lâcher ce roman !

Au fur et à mesure, l’autrice va donner toute sa force et sa matière à son histoire. Le roman ne peut pas être considéré comme un roman policier, ni même un thriller, mais l’intrigue fonctionne assez bien pour que la tension soit maintenue autour de cette enquête. La personnalité de Clara la rend attachante et les caractéristiques de son métier de procédurière, chargée de recevoir et compiler les dépositions, font que le lecteur se sent rapidement en confiance et en empathie avec elle. Elle est celle qui va délivrer les informations. À travers ses yeux, nous découvrons également la chaîne de Mélanie et ses enfants, Kimmy et Sammy. Pour Clara, c’est un tout nouvel univers. Tout la surprend. Pour comprendre ce monde, comprendre la vie que mènent Kimmy et son frère, elle retrace le fil des vidéos, elle les décortique, les appréhende à sa manière, avec méthodologie et rigueur.

« Les bons petits soldats répètent les mêmes phrases apprises par coeur, hello les Minibus friends, coucou les happys fans […] et surtout n’oubliez pas de vous abonner, et le petit pouce vers le haut pour nous liker. Ils ont appris à sourire comme des singes savants apprennent leur numéro. Vous croyez qu’ils peuvent dire « non, je n’en peux plus, j’arrête », quand la famille entière vit des revenus de ces vidéos ? »

Au-delà de l’enquête, c’est surtout une critique de cette société que nous propose Delphine de Vigan avec un panorama assez complet de toutes ces dérives. Les familles concernées en prennent – à raison – pour leur grade. Le regard que pose Clara sur Kimmy est celui que nous pouvons porter sur ces enfants à qui on impose une vie de surconsommation, d’impudeur, de célébrité. En visionnant les vidéos de la chaîne, Clara se confronte au regard de Kimmy, un regard qui semble hurler « à l’aide ». Ces passages-là sont particulièrement saisissants.

L’intrigue seule permet de saisir tout ce qu’il y a de dérangeant à livrer ses enfants en pâture sur Internet. Malheureusement, les discours à tendance moralisateurs disséminés à certains passages sont inutiles et offrent une vision trop manichéenne du progrès technologique et des réseaux sociaux. C’est un piège quand on prend pour sujet un objet d’observation aussi actuel et cible de critique. Un piège que l’autrice n’évite pas.

Malgré ça, Delphine de Vigan prouve à nouveau son talent pour raconter des histoires avec des personnages attachants, pour faire naître des émotions sans en faire trop, avec un style d’écriture sobre, mais efficace. La dernière partie du roman est une réussite. Sans trop en révéler, on peut dire que l’autrice choisit un angle de vue particulièrement intéressant. Elle permet de donner plus de sens encore aux critiques préalables sur ces parents qui privent leurs enfants d’une enfance normale, leur imposent une vie sans intimité, dans laquelle leur consentement ne compte pas. L’autrice donne du sens aussi aux lois récentes sur la protection des mineurs sur le net et donne envie que cela soit davantage encadré pour le bien de chacun.

« Une troisième hypothèse effleura Clara : cette femme n’était ni une victime ni un bourreau, elle appartenait à son époque. Une époque où il était normal d’être filmé avant même d’être né »

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Rien ne s’oppose à la nuit, Delphine de Vigan (Le livre de poche)

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À première vue, le style de Delphine de Vigan n’a rien d’exceptionnel, même si l’écriture est maîtrisée et le ton est juste. Pourtant, au fil des pages, on est bouleversé par ce récit dont le sujet principal est la mère de l’auteur. Évidemment, l’histoire (vraie) de sa famille et de ses drames pourrait suffire à provoquer l’émotion. Mais si l’auteur a su conquérir le cœur du lectorat français, c’est aussi et surtout grâce à son écriture qui, sans s’en donner l’air, est d’une grande intensité. Il est difficile d’expliquer ces deux ressentis : ce sentiment d’une écriture presque banale et l’intensité du récit, le choc même au fil de la lecture. Cela est peut-être dû à un autre paradoxe : la pudeur de l’auteur qui pourtant ne nous cache rien de sa famille. Pour y parvenir, Delphine de Vigan ruse. Dans la première partie, elle raconte l’enfance de sa mère à travers un regard de narrateur totalement extérieur, puisqu’il ne peut en être autrement. Grâce à la troisième personne du singulier, l’auteur se met à distance de son sujet. Dans les parties qui suivent, c’est à travers un regard d’enquêtrice que Delphine de Vigan retrace la vie de sa mère. L’auteur a enquêté auprès de ceux qui l’ont cotoyée : ses frères et sœurs, son autre fille. Elle a recueilli des lettres, des journaux intimes, des cassettes enregistrées par son grand-père, Georges. Tout cela lui permet de dérouler le fil de la vie de sa mère tout en maintenant une distance qui semble indispensable pour lui permettre d’écrire ce livre mais surtout pour tenir le coup lors de cette entreprise qui se révèle douloureuse et traumatisante.

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D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan (JC Lattès)

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Delphine de Vigan abreuve ce roman d’éléments autobiographiques : la narratrice se prénomme Delphine, son dernier roman dont le sujet principal était sa mère malade a connu un grand succès, son mari, François, est critique littéraire et réalise une série documentaire sur des auteurs américains. L’auteur s’engage par ce pacte autobiographique à parler d’elle. Sur la couverture, il est pourtant écrit « Roman ». C’est sur ce paradoxe entre fiction et réalité que se construit le livre.

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